Pour André Choulika, confondateur et PDG de la société de biotechnologie Cellectis, les autorités surjouent le confinement et entretiennent la peur, dans une stratégie de fuite en avant aux conséquences incalculables.
Par André Choulika (PDG de Cellectis)
Publié le 16 avril 2020 à 12h10 Mis à jour le 16 avril 2020 à 15h12
Arrive un moment où il faut savoir dire : « Nous nous sommes trompés ». Ce moment, nous y sommes !
A l’instar de sismologues guettant « The Big One », le grand tremblement de terre qui emportera un jour ou l’autre la Californie, les épidémiologistes ont toujours été à l’affût de la peste bubonique (1347-1351, environ 200 millions de morts) ou de la nouvelle grippe espagnole (1918-1919, 40-50 millions de morts) qui faucherait une bonne partie de l’humanité.
Le Covid-19 a présenté, dès son apparition médiatique, tous les signaux pandémiques de ce « The Big One », à la fois attendu et redouté. Des conseils scientifiques ont été constitués, médecins et chercheurs ont été interrogés. Deux choses certaines dans ce monde d’incertitudes : ce Sars-CoV-2 (un nom à la « Star Wars ») tue, et plutôt méchamment, et nous n’avons pas de vaccin contre cette saloperie.
Quand je posais des questions à mes amis virologues, épidémiologistes, médecins, me revenaient de leur part plus d’interrogations que de réponses. Ils transpiraient la peur, l’angoisse : nous y étions. Il y avait en eux cette excitation et ce soulagement du commandant du fort dans « le Désert des Tartares », qui après avoir attendu l’attaque, voit enfin les ennemis apparaître sur la crête… tellement nombreux qu’on ne peut qu’imaginer la suite. La bataille allait être gigantesque, le massacre terrible.
Protéger, coûte que coûte
Et enfin, la déferlante est arrivée. Dans les hôpitaux, les urgences ont commencé à être saturées, on a appris le décès d’amis d’amis. Des vieux, les plus fragiles et principales victimes, mais aussi des jeunes, morts dans la fleur de l’âge. La grande faucheuse commençait sa moisson.
Bardé de son conseil de guerre composé de médecins et de scientifiques, le gouvernement prit les mesures à la hauteur de la menace : protéger coûte que coûte la population de l’attaque du virus. Les rideaux des magasins ont été baissés, les restaurants fermés, les événements annulés, la vie mise sous cloche, contrôlée par des barrages de police, les sorties proscrites sauf pour assurer sa survie. Le confinement est en place, implacable. Nous retenons notre souffle, pétris de peur, de la peur de l’autre, du pestiféré (ce terme prend tout son sens dans ces circonstances).
Puis on attend… Bon, cela ne sera pas mars avec une mortalité inférieure à 2018, l’exemple n’est pas bon. Attention, ça va être en avril. Avril va être terrible. Pâques est passé, il y a eu des tragédies et des morts terribles, injustes. Mais les chiffres d’un « Big One » ne sont pas vraiment là. Alors, maintenant, c’est le contrecoup qu’il faut craindre : le retour de manivelle du déconfinement qui sera terrible, ce n’est plus avril ou mai, mais une deuxième vague en octobre ou novembre.
Le règne du n’importe quoi
A un moment, il faut savoir reconnaître : « Désolé les gars, nous nous sommes plantés. Fausse alerte, ce n’était pas la bonne… » Mais dans notre monde d’aujourd’hui, sous les projecteurs médiatiques qui jamais ne s’éteignent, cela devient politiquement impossible. Ce serait un suicide politique. Comme nous sommes dans l’inédit, la stratégie de la fuite en avant reste le réflexe politique de base.
La mort est toujours injuste. Brutale, comme un accident de la route, ou longue et pénible, comme un cancer. La mort nous révolte et nous fait peur. La révolte et la peur sont deux carburants puissants des médias et de la politique. Ce sont deux drogues dures, qui rendent accros avant même que nous nous en rendions compte.
La tempête mediatico-politique est partie de Chine en février 2020, on ne sait pas trop comment. Pourtant, les origines des premiers cas de Covid-19 semblent remonter à octobre 2019 : l’incendie a mis du temps à prendre. Et là, nous voici tous confinés à l’échelle planétaire. Personne ne veut assumer, alors on pose la question aux sachants. La réponse est digne des médecins de Molière : « Il faut confiner plus ! » Il faut des masques, du gel, des gants ! On obéit.
Mais qui commande ? Les médecins ? On ne sait plus. Il faut aplanir la courbe pour ne pas saturer les services de réanimation ! Très bien… Mais de combien de vies sauvées parle-t-on ? A quel prix ? Coûte que coûte ! Les conséquences dévastatrices de ces mesures sont aussi incalculables que le nombre de vies sauvées. Désormais, c’est le règne du n’importe quoi : de la moindre petite PME de détecteurs d’incendies infrarouges qui veut les convertir en détecteur de température chez l’homme au projet de tracking des gens par smartphone… Mais où va-t-on ? « 1984 » ? « Brazil » ?
S’il y a une chose que j’ai apprise durant mes études de virologie, c’est qu’on n’arrête pas un virus, et certainement pas une épidémie par le confinement. On la ralentit, mais le virus trouvera toujours le moyen de passer. Est-ce que les gens ont bien conscience que, sans avoir près de 70 % de la population infectée, le coronavirus ne s’arrêtera pas ? Leurs masques, leurs gel hydro-alcooliques, leurs gants, etc., cela ne sert qu’à retarder la fatidique échéance… A la fin, ils finiront par rencontrer le virus avec une certitude de 7 chances sur 10. Tous ne seront pas malades, mais tous seront atteints !
Les maladies infectieuses tuent environ 17 millions de personnes tous les ans, est-ce que cela va être désormais à chaque fois le même bazar ?
Comment arrête-t-on ça sans dire : « Désolé ! On vous dira quand ce sera la bonne mais là, on s’est gouré » (la vérité, quoi !) Non, l’admettre signerait leur mort politique.
Alors qu’est-ce qu’on fait ? On augmente la peur, on fait porter des masques, on dit que le contrecoup va être terrible, qu’il va tuer encore plus de monde. Mais combien de fois plus terrible ? Le double ? 200 000 personnes de plus dans le monde ? Personne ne sait : ni les médecins, ni les scientifiques et certainement pas nos dirigeants.
Nous sommes en train de vivre la fin d’un monde. Nous regardons cet effondrement hallucinés, remplis de peur, révoltés. Il est plus que temps de prendre notre courage à deux mains – le courage, cet antidote contre la peur – et de voir la situation d’un œil neuf et positif. Il faut redessiner un avenir dans lequel nous aurions envie de nous inscrire. Vivre en bonne santé certes, mais avoir la santé n’est rien… si elle n’est pas accompagnée de sens à la vie et de bonheur.
Source : L'Obs